C’était un des objectifs de la mission de cette année : connecter un des télescopes du réseau CHARA avec la station de recombinaison des faisceaux, en passant par une fibre optique plutôt que par les tubes sous vide qu’il y a actuellement. Et ça a été un des moments les plus funs de la mission !
En gros, entre le télescope Sud 1 et l’endroit où se mélangent les différents faisceaux, il y a :
- une coupole à traverser
- un tunnel de 20m qui passe sous la route
- 150 m de forêt à traverser (et c’est pas du tout plat, on est en montagne !)
- une cloison à passer pour entrer dans le bâtiment où sont mélangés les faisceaux (ils ont tout de même fait un trou dans cette cloison rien que pour nous !)
- les lignes à retard (des miroirs sur des chariots qui se déplacent sur des rails de 50m de long, sur lesquels nos faisceaux viennent se réfléchir)
On s’y est donc collé avec François, à dérouler la bobine de 200m de fibre dans du flexible en alu au milieu de la forêt. Pas de grosses difficultés en fait. Il faut juste prendre son temps pour faire les choses correctement. Le passage le plus délicat a été le tunnel sous la route. C’est François qui s’y est collé. Le tunnel est traversé par les deux tubes sous vides, séparés d’une quarantaine de centimètres, et qui permettent aux faisceaux des télescopes Sud 1 et Sud 2 d’aller jusque dans la station de recombinaison. Et du coup il y a juste la place pour passer, à condition de se placer au-dessus des deux tuyaux, en équilibre. Ça faisait un peu mission impossible 🙂
Bref, la fibre est finalement arrivée de l’autre côté du tunnel, et François en est ressorti tout poussiéreux, et plein de toiles d’araignées. On a appris un peu plus tard qu’il y avait probablement des veuves noires dans ce tunnel ! Bon, c’est peut-être vrai, mais François n’en a pas vu. N’empêche qu’aux yeux de l’équipe sur place, c’est un véritable héro !
L’installation de la fibre dans le télescope n’a pas posé de gros soucis non plus. Il fallait juste avoir assez de mou pour ne pas la coincer lorsque le télescope tourne (ce qu’on a vérifié la nuit suivante)
Je vous mets quelques photos du trajet de la fibre optique, avec une légende à chaque fois. Ça fait un peu roman photo, mais c’est pas grave, ça permet de se rendre compte à quoi ça ressemblait.
Le télescope. Tout en bas, le miroir primaire (1m de diamètre). Tout en haut, le miroir secondaire (on ne le voit pas bien). Au milieu, le miroir tertiaire, qui renvoie le faisceau vers la droite. La grosse boîte noire tout à droite contient les éléments du montage optique qui nous permettent d’injecter la lumière dans notre fibre optique.
Cette fois on est dans la grosse boîte noire. Le fil jaune, c’est la gaine de protection de la fibre optique, et en bleu, l’extrémité de la fibre. Un peu plus loin au fond, c’est un miroir parabolique qui nous permet de focaliser le faisceau de lumière provenant de l’étoile ans notre fibre optique. Pour positionner parfaitement l’extrémité de la fibre là où le faisceau vient focaliser, on utilise des petits actionneurs piezoélectriques qui nous permettent de bouger suivant trois axes, avec une résolution de l’ordre du millième de millimètre. En tout, la lumière provenant de l’étoile se réfléchit sur cinq miroirs avant de rentrer dans la fibre. C’est pas le plus direct !
La fibre sort de la coupole par une petite ouverture. Ensuite, pour l’extérieur, on est dans du flexible en alu pour protéger la fibre mécaniquement. À gauche, c’est le tuyau sous vide dans lequel se propage le faisceau d’habitude (mais là, vu qu’on a injecté la lumière dans notre fibre, plus rien ne passe dans le tuyau sous vide)
L’étape la plus compliquée : le passage dans le tunnel. Les tuyaux font environ 20cm de diamètre. Autant vous dire que le trou n’est pas bien gros, et que ça passe juste pour y entrer. Il ne faut pas être claustrophobe ! Par terre, on voit passer la fibre.
Après, c’est plus facile. Un peu moins de 200 m de fibre à dérouler dans la forêt, à même le sol. Le terrain est assez pentu par endroits, mais ça se fait bien. Et puis c’était agréable. Il faisait super beau, avec des écureuils partout pour nous accompagner !
On arrive enfin dans le bâtiment. Les deux tuyaux sont ceux qui arrivent des télescopes Sud 1 et Sud 2. Les tuyaux arrivant des télescopes Est 1 et 2, et ouest 1 et 2 entre par l’autre côté du bâtiment. Par terre, on voit notre fibre dans son flexible en alu, qui passe la cloison par une ouverture percée un peu plus bas que le passage des deux tuyaux.
Et on arrive enfin dans les lignes à retard. La lumière qui sort de notre fibre est envoyée sur un miroir qui se situe tout au fond sur le rail. La lumière se réfléchit dessus, revient, et est injectée dans une autre fibre optique. Bon, il faut sacrément bien viser, parce que le miroir est assez loin (une bonne quarantaine de mètres), et il faut qu’on réinjecte ça dans une fibre optique dont le cœur fait dans les 5 millièmes de mm de diamètre. La encore, on utilise des petits actionneurs piézoélectriques pour positionner parfaitement la fibre. Au l’autre sortie de la 2e fibre, on place enfin notre détecteur, qui va mesurer la quantité de lumière en provenance de l’étoile
Voilà en gros le trajet de la lumière. Il est un peu compliqué, mais on a été capables de récupérer de la lumière en sortie lors de nos deux nuits de tests sur ciel, avec de vraies étoiles. Cette expérience a été une belle réussite, et un pas important vers la suite de nos expérimentations.
En fin de mission, les joies du démontage. Il a fallu tout enlever et laisser tel que c’était avant qu’on arrive. Ça nous a pris quelques heures tout au plus, le plus long étant d’enrouler proprement la fibre sur son rouleau (c’est un peu comme tenter de ranger une toile de tente dans son emballage d’origine). Seul petit soucis, lorsqu’on a voulu sortir la fibre du tunnel en tirant délicatement dessus, elle s’est coincée ! Pas de bol. Cette fois, c’est moi qui me suis coltiné le passage dans le tunnel pour aller la décoincer. Je suis ressorti tout dégueulasse avec des toiles d’araignées, mais pas de veuves noires à l’horizon, ouf 🙂