31 Mar 22

Mission CHARA 2022 : Six nuits

Catégorie : Recherche

Six nuits. Jamais on n'avait eu autant de temps télescope lors de nos différentes missions à l'observatoire. Et pourtant, la demande de la part de la communauté astro pour obtenir ces fameuses nuits est élevée. Environ une demande sur deux seulement est satisfaite. On a donc été particulièrement gâtés pour cette mission. Encore faut-il que la météo soit avec nous : pas de nuages, pas de vent d'altitude (et oui, même une belle nuit étoilée peut être totalement inutilisable avec ces vents), et un bon seeing (dans le langage des astronomes, le seeing permet de quantifier la turbulence de l'atmosphère). Et si tous ces paramètres sont réunis, et que les installations techniques du réseau de télescopes, et les différents éléments de notre manip ne nous jouent pas des tours, alors oui, on peut espérer faire quelque chose de ces heures de télescopes. Autant vous dire que ce n'est pas gagné d'avance…

Notre première nuit commençait le soir du lundi 21 mars. En cette période de l'année, on peut raisonnablement travailler sur le ciel entre 21h et 6h du matin, ce qui laisse tout de même pas mal de temps d'observation. La première nuit est toujours la plus difficile, parce que comme on est toujours à la bourre pour terminer les alignements de la manip (et aussi parce qu'ils ne sont pas simples à faire), on travaille aussi la journée.

Donc on s'est enchaîné la journée de travail du lundi, suivi de la nuit de travail du lundi au mardi. On avait déjà fait ça lors de la précédente mission. Inutile de vous dire dans quel état on a fini cette première nuit, d'autant plus qu'elle nous a donné bien plus de soucis techniques que de résultats expérimentaux. Pour être plus précis, cette première nuit ne nous a donné que des problèmes, et aucun résultat. Pas très bon pour le moral, mais les missions précédentes nous ont appris qu'il faut touours persévérer, et que les résultats sur le ciel s'obtenaient toujours dans la douleur !

Petit retour donc sur cette première nuit. Le matin même, on venait juste de régler les injections dans les deux télescopes (quand je vous disais que c'est toujours à la bourre que ça se fait). Pendant l'après-midi, Theo, directeur de CHARA (et bientôt à la retraite) nous a terminé à l'arrache un code informatique spécifique à notre expérience pour pouvoir scanner à l'aide des miroirs sur les lignes à retard pour partir à la recherche des franges. Ce qui est trop cool, c'est que maintenant le système informatique qui permet de piloter l'ensemble du réseau de télescope incorpore les spécificités de nos expériences. Donc Théo m'explique en quelques minutes les différentes commandes à utiliser, et l'interface graphique qui va avec. Heureusement, des mails complémentaires sont arrivés ensuite pour repréciser les choses, parce que je vous avoue que je n'ai pas tout compris tout de suite !

Première nuit d'observation

Nous voilà donc installé aux alentours de 21h dans la salle des serveurs qui se situe juste derrière les lignes à retard. C'est d'ailleurs assez bruyant, et on est bien contents d'avoir nos casques avec réducteur de bruit ! Tous les ordinateurs dans les télescopes sont allumés et opérationnels (deux dans le télescope Sud 1, à deux étages différents, et un dans le télescope Sud 2). On se rend compte que le PC qui devait faire l'enregistrement des interférences ne veut plus démarrer. Il va falloir trouver une parade. On a aussi récupéré des moniteurs supplémentaires pour afficher tous les écrans de contrôle des PC dans les télescopes et ceux dans le labo. Une sacré installation, qui ressemble à ça :

Les cookies sur la table, c'est pour tenir parce que la nuit va être longue :-) Il faut d'abord régler à nouveau les injections dans les fibres optiques dans chacun des télescopes avec les miroirs orientables. Heureusement, on peut tout faire à distance (je ne nous vois pas faire les 200m à pied du labo jusqu'aux télescopes pour refaire les injections à chaque fois que c'est nécessaire). Ça, on maîtrise plutôt bien, et on arrive sans trop de difficultés maintenant à avoir une injection quasi parfaite. C'est le genre de chose qu'il faut faire plusieurs fois par nuit, parce que ça bouge toujours un peu, et on a vite fait de perdre beaucoup de lumière injectée ! Donc c'est important d'être efficace sur ce réglage.

En cette période de l'année, les débuts de nuit ne sont pas très favorables : peu d'étoiles très brillantes susceptibles de nous donner de belles franges d'interférence, les étoiles brillantes ont un diamètre trop important. On se rabat donc pour commencer sur HD 87901, Regulus, dans la constellation du Lion (la patte avant du Lion plus exactement). Cette étoile n'est pas très lumineuse, avec une magnitude de 1.5 à la longueur d'onde à laquelle on travaille (autour de 800 nm, donc dans l'infrarouge proche). Il va falloir faire avec de toutes façons. On a tenté de trouver des franges avec cette étoile jusqu'à 3h du matin. Deux difficultés majeures : on ne sait pas du tout où chercher les franges sur le ciel (combien de mm ou cm ajouter sur un chariot par rapport à l'autre pour être exactement au même trajet optique pour les deux télescopes). L'autre difficulté, c'est que le seeing n'est pas bon du tout, avec beaucoup de turbulences atmosphériques. Un vrai défi de trouver des franges, qu'e l'on n'a pas trouvées d'ailleurs.

3h30 du matin, l'étoile Vega dans la constellation de la Lyre commence à être suffisament haute dans le ciel pour pouvoir la pointer. À chaque fois qu'on change d'étoile, il faut que l'opérateur pointe les deux télescopes et se verrouille sur l'étoile, que les chariots soient mis en place pour égaliser les trajets, que l'on refasse nos injections dans les fibres, etc. Tout ça, ça prend beaucoup de temps (genre 30 à 45 minutes). Là avec Vega, on est magnitude 0, donc bien plus lumineuse que Regulus. Sauf que le seeing est vraiment pourri, tellement pourri que l'opérateur nous indique qu'il n'arrive même pas à faire fonctionner l'optique adaptative qui doit stabiliser les faisceaux reçus dans les télescopes. Impossible pour nous d'injecter de la lumière dans les fibres. Fin de la nuit d'observation vers 4h30 du matin. C'était une première nuit sans, et en plus on est complètement cramés car on a aussi bossé la journée ! La nuit suivante sera sans doute meilleure…

2e, 3e et 4e nuit d'observation

Je fais un tir groupé, inutile de vous décrire dans le détail chaque nuit, ça serait carrément ennuyant. Ces trois nuits se sont pas mal ressemblées. Levé vers 14 - 15h, bien fatigué, petit déjeuner dans le cottage, puis passage au labo pour se repréparer pour le soir. Comme les nuits précédentes, évidemment, on n'a toujours pas d'étoiles qui vont bien dans la première partie de nuit, et on attend à chaque fois Vega avec impatience, qui commence à être à peu près utilisable sur le coup de 2h30 du matin.

On a bien galéré ces trois nuits, mais ce n'était pas du temps perdu. On a évidemment cherché les franges comme des malades, sans savoir exactement où chercher, et édivemment sans les trouver ! Dur métier tout de même. Mais à chaque nuit on affinait notre technique de recherche. On a pu aussi obtenir de jour des franges avec des sources internes, repérer où on trouvait les franges, améliorer notre méthode de scan… On a bien échangé aussi avec Norm, l'opérateur, pour essayer de comprendre pourquoi on n'arrivait pas à tomber sur les franges. Et là, on s'est rendu compte que lorsqu'on allait dans les lignes à retard pour des réglages, on prenait un chemin tel qu'on coupait un court instant le faisceau laser de métrologie qui contrôle la position des chariots. Et ça faisait que la position exacte des chariots était perdue ! Aucune chance de trouver les franges d'interférences. Des fois, ça tient à tellement peu de choses !

Tiens, parlons-en des incursions dans les lignes à retard de nuit. Il faut tout l'attirail : lunettes pour se protéger du rayonnement du laser de métrologie des lignes à retard (le fameux qu'il ne faut pas couper), la lampe frontale pour y voir à peu près quelque chose parce qu'il n'est pas question d'allumer la lumière avec nos compteurs de photons dans la pièce, et le microcasque pour pouvoir échanger avec les collègues. Il ne manque que le masque, pas sur la photo ci-dessous, mais obligatoire dans tout le labo. Avec ça, on a ze teuch :-)

On a donc commencé notre 4e nuit avec cette précieuse information : comment se déplacer dans les lignes à retard sans couper le faisceau laser de métrologie. Nous avons également amélioré nos procédures, et un bon espoir d'obtenir des franges, au moins sur Vega en fin de nuit, assez lumineuse et assez haute dans le ciel. Et ça a été le cas le 25 mars vers 4h30 du matin. Quand on a vu le pic apparaître sur nos écrans, ça a été une véritable explosion de joie. Quatre nuits de galère, et on les avait enfin. Je sais, ce n'est qu'un pic au milieu d'une courbe, mais ça a été une véritable délivrance pour nous. Allez, pour le plaisir, voici le fameux pic frange :

Ce soir là, on n'a malheureusement pas pu faire d'enregistrements propres et bien contrôlés pour la publication scientifique car le jour s'est levé vers 6h30 et il a fallu stopper les observations. Mais on est partis se coucher avec la certitude qu'on pourrait se replacer la nuit suivante exactement dans les mêmes conditions expérimentales, et retrouver les franges. Inutile de vous dire qu'on est rentrés très heureux au cottage après cette fin de nuit grisante, et la nuit (enfin le créneau 7h 14h) a été douce :-)

5e nuit

Les nuits s'enchaînent et ne se ressemblent pas. On a débuté notre 5e nuit avec les traditionnels réglages, pointages d'étoiles pas terribles pour la première partie de nuit. Heureusement, la météo était très favorable, avec un très bon seeing. Des conditions parfaites pour faire des mesures. On a pu aller sur Vega dès 2h30 du matin. Elle n'était pas très haute (34°), mais on était tellement impatients d'en découdre et de faire nos enregistrements qu'on a décidé d'y aller.

Et là, ça a été génial. On a retrouvé les franges d'interférences avec notre protocole exactement là où on les attendait. Preuve que la manip est maîtrisée, et que si le ciel est avec nous, elle fonctionne sacrément bien ! De 2h30 du matin jusqu'à 6h du matin, on a engrangé des tonnes de données pour tirer un maximum d'informations de cette expérience, et pour préparer la rédaction de la publication scientifique qui va aller avec. Les ordinateurs ont chaufés, et on était vraiment à fond. On était vraiment contents d'avoir pu enfin obtenir ces résultats, parce qu'il y a tellement de difficultés à surmonter que ce n'était pas gagné du tout. La mission est pleinement réussie !

La 6e nuit

Cette nuit là a été bien plus détendue, on avait déjà nos résultats expérimentaux. On a commencé de préparer la mission de juin, en installant les modules de conversion de fréquence dans le télescope Sud 2. Je vous raconterai ce qu'est exactement cette expérience et les objectifs qu'on s'est fixés pour la mission de juin. On monte encore d'un cran dans la complexité de la manip, mais aussi de l'intérêt qu'elle peut représenter pour la communauté des astronomes.

On a donc commencé de mettre en place ce module dans le télescope. Ça n'a pas été simple, parce qu'au bout de six nuits, la fatigue commence à méchamment se faire sentir. On aurait même pu avoir quelques résultats préliminaires si la météo ne s'en était pas mêlée. Après avoir effectué tous les réglages avec notre source interne, on était prêt à passer sur le ciel pour voir ce que ça donnait, mais les nuages avaient tout recouvert. 3h du matin, impossible d'aller plus loin, fin de notre run d'observation, et au lit !