Une expérience (réussie) de pédagogie inversée en Mesures Physiques Limoges
Le constat est souvent unanime, la majorité des étudiants que nous accueillons aujourd’hui fournissent trop peu de travail personnel d’apprentissage entre les séances, et n’ont pas une participation active suffisante aux enseignements au regard des attentes. Ce manque d’implication se traduit par une faible acquisition des connaissances, et une mauvaise rentabilité des séances passées en présentiel. C’est dans ce contexte que j’ai choisi de mettre en place une expérimentation de pédagogie différente. Le premier objectif est d’augmenter la qualité de l’apprentissage, et la réussite des étudiants, en les impliquant davantage dans leur propre formation (et par là même en les incitant fortement à augmenter quantité de travail fournie). Le second objectif est d’optimiser le temps passé en cours magistral en amphithéâtre, et en travaux dirigés. Pour cela, je me suis appuyé sur les techniques de pédagogie inversée, très populaire aux États-Unis, et qui commence à faire son apparition en France (voir les articles http://unil.im/dufour2014 et http://unil.im/chevalier2014. Plusieurs sites internet présentant cette pédagogie alternative ont fait leur apparition, comme par exemple http://www.classeinversee.com et http://www.laclasseinversee.com.
Principes de la pédagogie inversée
En pédagogie classique, la transmission du savoir se fait en présentiel, généralement lors de cours en amphithéâtre. L’enseignant est le << sachant >> qui déverse son savoir à des apprenants, qui n’ont pas un rôle actif, et absorbent les connaissances pendant toute la durée du cours. La consolidation des connaissances et l’approfondissement se font alors en dehors des cours, tandis que l’étudiant se retrouve seul face à un contenu pédagogique qu’il n’a pas forcément compris lors du cours. Au mieux, cette phase à la maison demande du temps et du travail personnel, au pire elle est superficielle, voire inexistante.
D’après Héloïse Dufour, « la classe inversée consiste à déplacer la partie magistrale du cours à la maison, et à utiliser le temps de classe ainsi libéré pour réaliser les devoirs traditionnellement faits à la maison. […] C’est un modèle original qui permet, à partir de concepts pédagogiques anciens, de faciliter l’apprentissage des élèves. C’est également une manière pertinente d’utiliser les nouvelles technologies au service de la pédagogie ». L’accès aux nouvelles technologies n’est aujourd’hui plus un frein pour les étudiants du supérieur. D’après le rapport 2013 du CRÉDOC sur la diffusion des technologies de l’information et de la communication dans la société française, 97% des étudiants utilisent internet à la maison, et y consacrent en moyenne plus de deux heures par jour.
Le contenu pédagogique est alors mis à disposition des étudiants, sous la forme de courtes capsules vidéos (typiquement moins de 20 minutes) présentant une notion particulière. Il s’agit pour les étudiants d’un média plus vivant et engageant qu’un manuel classique. De plus, chaque étudiant progresse à son rythme, et peut revenir facilement sur une notion particulière du cours. Des documents complémentaires comme des ressources audio ou des outils interactifs peuvent également être utilisés.
Des questionnaires en ligne accompagnent souvent les contenus de cours. Il sont constitués de questions de compréhension ou d’exercices d’applications simples, de bas niveau cognitif. Ils permettent à l’enseignant d’avoir une bonne vision globale de la compréhension de son cours par l’ensemble des étudiants de la promotion grâce aux statistiques que proposent aujourd’hui les outils numériques. Il peut alors lors de la prochaine séance en présentiel revenir en particulier sur les points qui ont posé des problèmes aux étudiants. De plus, c’est un outil d’autoévaluation pour l’étudiant, qui bénéficie d’un retour immédiat sur la validité de ses réponses, et peut le cas échéant refaire le questionnaire en ligne. Cette autoévaluation permettra également à l’étudiant de mieux cerner les questions qu’il posera à l’enseignant une fois en présentiel.
J’ai donc entrepris d’adapter mon cours d’optique en première année de DUT pour le proposer aux étudiants en pédagogie inversée pour l’année 2014-2015. Il s’agit d’un cours comprenant un peu moins de 9 heures de cours en amphithéâtre et 14 heures de travaux dirigés par étudiant. Six séances de travaux pratiques (sous la forme de séances de 3 h) viennent compléter cet enseignement.
Travail préparatoire à la maison
Pour mettre à disposition des étudiants le contenu pédagogique nécessaire à la préparation des séances en présentiel, je me suis appuyé sur la plate-forme Claroline que nous utilisons dans le département.
Dans un premier temps, j’ai découpé le contenu du cours en 15 notions (presque) indépendantes. Pour chaque notion, j’ai enregistré une vidéo dont la durée varie entre 10 et 20 minutes en fonction du contenu. Je m’appuie sur des diaporamas à trous que je remplis à la tablette graphique pendant la vidéo (les vidéos de cours ainsi que les fichiers pdf des diaporamas sont disponible sous licence libre sur ce site. Chaque semaine, deux vidéos sont proposées aux étudiants sur la plate-forme claroline, et les supports papiers des diaporamas correspondants leurs sont fournis. Ils doivent compléter ces documents lors du visionnage des deux capsules de cours
J’ai ensuite préparé des questionnaires en ligne (QCM) proposant chacun une dizaine de questions simples sur les notions vues dans les vidéos de cours. Chaque étudiant a un nombre d’essais illimité, et obtient immédiatement son score après validation.
Enfin, quelques exercices en ligne sont également disponibles. Il s’agit ici de petits exercices d’application directe du cours. L’étudiant saisit juste la valeur numérique du résultat, et sait immédiatement si sa réponse est correcte. Le nombre d’essais avant le cours est alors limité à cinq pour inciter l’étudiant à un minimum de réflexion avant de valider sa réponse.
Adaptation du travail en présentiel
Une des difficultés principales lors de la mise en place de cette pédagogie est la scénarisation de la séance en présentiel. Ces séances, d’une durée de 1h15, se déroulent en amphithéâtre avec environ 80 étudiants. C’est cette scénarisation qui m’a demandé le plus de travail (plus que l’enregistrement des vidéos par exemple). Pour chaque séance de présentiel, j’ai opté pour le déroulement suivant :
- pour chaque vidéo de cours, projection d’une seule diapo résumant toutes les notions importantes de la vidéo. Démarre alors un dialogue avec les étudiants sur les questions qu’ils ont préparées pour la séance ;
- correction des QCM en ligne. Je m’attarde sur les questions qui ont le moins bon taux de réponse de la promo
- correction des petits exercices en ligne. La plupart du temps, les étudiants passent au tableau faire la correction sur la base du volontariat
- le dernier quart d’heure de la séance est réservé pour un QCM papier noté, portant sur les notions du jour. Afin de réduire le risque de triche (les QCM en amphithéâtre ne sont généralement pas simples à gérer), j’ai utilisé l’excellent logiciel libre AMC, qui permet de générer des QCM papier individuels, dans lesquels l’ordre des questions, mais aussi des réponses à chaque question est aléatoire. D’autre part, le logiciel permet une correction automatique des QCM à partir d’un scan des copies des étudiants. Ceci m’a permis d’envoyer le soir même, et de manière individuelle, la copie corrigée de chaque étudiant. La figure suivante montre la première page du QCM rempli en amphithéâtre par un étudiant, et corrigé de manière automatique. C’est ce document que chaque étudiant reçoit le jour même dans sa boîte aux lettres électronique.
Les séances de travaux dirigés (par groupe de 26 étudiants maximum) ont également été adaptées. Dans un fonctionnement classique, une fiche d’exercices est fournie aux étudiants, qui travaillent de manière individuelle (voire en binôme) sur la résolution des exercices. La correction est alors assurée soit par l’enseignant, soit sur la base du volontariat, par un étudiant. Le fonctionnement que nous avons mis en place est assez différent. Nous avons réparti les étudiants en sous-groupes, qui travaillent chacun sur un sujet particulier, de manière totalement collaborative. Les étudiants doivent alors préparer pendant la première heure une correction, qu’ils présenteront au tableau aux autres groupes. Les étudiants doivent alors faire preuve de pédagogie dans l’élaboration de leur correction. Lors de cette étape de préparation, l’enseignant passe de groupe en groupe, répondre aux questions des étudiants. C’est aussi l’occasion de faire de l’accompagnement un peu plus personnalisé. Les corrections sont alors effectuées au tableau par les différents groupes pendant la seconde heure. À noter que la dernière séance de travaux dirigés est effectuée quelques jours après le contrôle écrit final, où le sujet de l’examen est refait par les étudiants (en petits groupes, chacun sur un exercice). L’examen final n’est alors plus simplement un moyen d’évaluer les connaissances des étudiants, mais bien un outil pédagogique supplémentaire où l’étudiant a l’opportunité de comprendre ses erreurs.
Le déroulement des séances de travaux pratique n’a pas été modifié pour cette expérimentation, le fonctionnement étant déjà proche de la philosophie de la pédagogie inversée (enseignement très concret, par petits groupes, interaction forte entre l’enseignant et les étudiants, accompagnement personnalisé).
Bilan de l’expérimentation
Le bilan de cette expérimentation est très positif. L’objectif initial qui était principalement de rendre les étudiants plus actifs dans leur formation, et de les mettre au travail avant les séances en présentiel a été pleinement atteint. Nous avons pu quantifier ce travail à partir des statistiques des parcours pédagogiques fournis par la plate-forme. Nous avons senti une meilleure assimilation des notions de cours, bien que ce soit encore perfectible. Ceci s’est traduit par une hausse de la moyenne de la promotion au contrôle final de deux points par rapport à l’an passé, pour un sujet de difficulté sensiblement équivalente. Nous avons eu également un retour très positif d’une majeure partie des étudiants, qui ont particulièrement apprécié, lors des séances en présentiel, de ne se focaliser que sur les points difficiles.
Le cours d’optique de première année de DUT Mesures Physiques sera reconduit sous cette forme à la rentrée 2015. Quelques ajustements seront effectués, comme par exemple l’augmentation du nombre de groupes en travaux dirigés pour faire travailler les étudiants dans des groupes plus petits.