Déroulement de mission parfait jusqu’à maintenant. Pas d’incendie à l’horizon (on est en vigilance incendie tout de même), pas de crotales, ni de tremblement de Terre, et les ours ont l’air de nous laisser tranquilles. Du coup on peut faire notre travail dans de bonnes conditions !
Je vais profiter de ce billet pour remettre un peu tout ça dans son contexte, et parler (un peu) physique et de nos objectifs sur place. Pas de panique, je vais rester très synthétique. Il n’y aura même pas d’équations !
L’idée de départ est de dire que l’on a intérêt à construire des télescopes de plus en plus gros. Ceci pour deux raisons. D’abord, un télescope est un puits à lumière, et plus la surface qui collecte la lumière (ce qu’on appelle le miroir primaire) est grande, plus on pourra détecter des objets peu lumineux. Mais il y a un autre phénomène que l’on appelle la diffraction, et qui fait que plus le diamètre du télescope est grand, plus les détails auxquels on a accès dans l’image sont petits, et donc meilleure est la définition. Alors jusqu’à quel diamètre peut-on monter ? Actuellement, le maximum que l’on puisse faire est 8 mètres avec un miroir d’un bloc, et 10 m avec un miroir segmenté (association de pleins de « petits » miroirs hexagonaux de 1m de diamètre). Des projets sont en cours avec un miroir primaire de 40 m, comme l’ELT, toujours avec un miroir segmenté, mais le coût grimpe très vite.
Alors comment faire mieux ? Eh bien en prenant plusieurs petits télescopes (par petit, j’entends entre 1 et 10 m de diamètre tout de même !), de les éloigner les uns des autres, et de mélanger la lumière captée par chacun d’entre eux. Cette technique s’appelle l’interférométrie stellaire. Par exemple, en éloignant deux miroirs de 100 m, et en analysant les interférences entre les faisceaux provenant de ces deux télescopes, on a accès au même niveau de détail qu’avec un télescope dont le miroir primaire aurait un diamètre de 100 m. Génial non ? Enfin, tout n’est pas si simple. D’abord, on ne fait pas des images, mais on enregistre des courbes, et après traitement informatique, on arrive à retrouver des informations sur l’objet. On peut par exemple mesurer le diamètre d’une étoile, ou encore commencer à voir les tâches à sa surface. Pour que ça fonctionne, il faut également que les différents faisceaux que l’on mélange aient suivi exactement le même trajet, au 10e de mm près, voire moins. Ça oblige à mettre en place un système capable de faire patienter un faisceaux le temps que les autres arrivent. C’est ce qu’on appelle une ligne à retard. On fait ça en mettant un miroir sur un rail, et le temps que la lumière fasse un aller retour vers ce miroir, ça permet de le retarder. Je ne vais pas trop entrer dans les détails sur ce point.
Il y a actuellement trois principaux réseaux de télescopes optiques en fonctionnement dans le monde : le VLTI au Chili, NPOI dans le désert de l’Arizona et CHARA à l’observatoire du Mont Wilson. C’est sur ce dernier que nous effectuons nos missions. C’est un réseau de 6 télescopes d’un mètre, répartis sur une configuration en Y. La plus grande distance (ce qu’on appelle la base) entre les télescopes est de 330 m. C’est donc le réseau de télescopes optiques le plus résolvant au monde actuellement. Il fonctionne de manière routinière en lumière visible et proche infrarouge (de la lumière invisible à l’œil nu, mais pas très loin du rouge).
Cependant, si on veut travailler avec de la lumière infrarouge thermique, les choses deviennent plus complexes. Tous les miroirs et composants optiques sur le trajet de la lumière émettent également de l’infrarouge thermique, qui constitue un bruit qui vient s’ajouter à la lumière de l’étoile. Ça oblige à les refroidir à des températures extrêmement basse pour limiter ce bruit.
Notre équipe de recherche travaille depuis plus de 10 ans maintenant sur un nouveau système qui permet de changer la couleur des étoiles, sans perdre l’information contenue dans la lumière. En gros, en mettant nos convertisseurs directement au niveau du télescope, cela permet de déplacer le signal de l’infrarouge thermique vers le visible ou le proche infrarouge, dans une zone où le bruit thermique est quasiment inexistant. Autre intérêt majeur, cette lumière peut ensuite être transportée par fibre optique jusque dans la station de mélange des faisceaux, plutôt que dans des tubes sous vide comme c’est le cas actuellement. On pourrait même envisager de mettre les télescopes à des distances bien plus grandes que les 300 m que l’on a actuellement. Rêvons un peu. Pourquoi pas le kilomètre ?
Bref, pendant la mission de cette année, hormis quelques manips que l’on n’a pas pu faire l’an passé à cause des incendies, nous testons la connexion par fibre optique entre un des télescopes du réseau, et la station de mélange des faisceaux. Ça correspond à environ 200m de distance. Je n’en dit pas plus, ça fera l’objet d’un billet de blog à part entière.
Pour terminer, une petite photo de la vue depuis notre cottage, prise hier soir plein est, au moment du coucher de Soleil. On en prend plein les yeux !